JEUNE AFRIQUE: Swagg Man condamné à trois ans de prison pour abus de confiance 

Tunis – 25 mai 2022

Le tribunal de Sousse a reconnu le rappeur-influenceur franco-tunisien et sa compagne, tous deux absents de l’audience, coupables d’abus de confiance. Iteb Zaibet et Lolita Rebulard sont loin d’en avoir fini avec les justices tunisienne et française. Enquête.

Iteb Zaibet, alias Swagg Man, influenceur-rappeur franco-tunisien connu pour ses monogrammes Louis Vuitton tatoués sur le crâne et ses rimes improbables en « ey », a été condamné à trois ans de prison par le tribunal de première instance de Sousse, le 10 mai, pour abus de confiance.

Source: https://www.jeuneafrique.com/1349203/societe/tunisie-swagg-man-condamne-a-trois-ans-de-prison-pour-abus-de-confiance/

Avec sa compagne, Lolita Rebulard, qui a écopé de la même peine, Iteb Zaibet a escroqué pour plus de 2 millions d’euros un couple d’industriels franco-tunisien. Iteb Zaibet et Lolita Rebulard, absents du tribunal de Sousse, leur ont notamment fait miroiter des projets immobiliers frauduleux en Floride et des plans cryptomonnaie garantis.

« Trois ans, c’est peu. Surtout, il faudrait qu’il soit incarcéré pour qu’il ne fasse pas d’autres victimes », réagit pour Jeune Afrique Laurent*, le mari, qui, en tant qu’entrepreneur, n’est pourtant pas du genre crédule.

Comme beaucoup de Tunisiens, le couple découvre le personnage Swagg Man en avril 2019 lors d’une émission télévisée populaire. L’artiste multitatoué y étale sa vie facile de self-made man en Floride tout en fulminant contre la Banque centrale de Tunisie (BCT). Selon lui, l’institution bloquerait sans raison quelque 17 millions de dinars (5 millions d’euros) qu’il voudrait investir dans des hôpitaux et des orphelinats.

« Devant mon écran, je me suis dit “Pauvre garçon, il est victime de la bureaucratie tunisienne et de son look”, raconte Emna, l’épouse de Laurent. D’ailleurs, je trouvais que son look particulier pouvait nous être utile dans notre business [le couple préfère ne pas révéler leur secteur d’activité] ». D’abord très réticent, Laurent, lui aussi, finit par tomber sous l’influence de Rayan (à l’époque, Iteb Zaibet se fait appeler Rayan Sanches) et Lolita.

Il décrit cette dernière comme « une petite femme introvertie, qui parle doucement ». Les relations d’affaires se transforment vite en solide amitié, mais financièrement à sens unique. Laurent et Emna paient tout, notamment un séjour de luxe dans un hôtel huppé de Hammamet, à l’été 2020.

Projet immobilier frauduleux, arnaque au Bitcoin

Entre deux verres et des virées en bateau, Laurent révèle à Swagg Man qu’il cherche à investir dans la pierre à Paris. Le rappeur de 33 ans à l’époque le convainc d’acheter un bien plutôt en Floride, où il possède une agence immobilière spécialisée dans les résidences luxueuses. Un an et demi plus tard, le Français verse, en quatre fois, 1,7 million d’euros. En pure perte.

Entre-temps, Emna s’est fait « baratiner » pour ouvrir un compte en bitcoin alimenté de 173 000 euros. « Iteb avait les mots de passe du compte. Du jour au lendemain, tout a disparu », révèle-t-elle, encore sous le choc. Le couple énumère aussi les quelque 30 000 euros versés directement sur le compte de Lolita Rebulard en guise « d’argent de poche », et les dizaines de milliers d’euros pour payer les avocats et la caution…

Car, au-delà du sentiment d’avoir été trahis, encore vivace, Laurent et Emna culpabilisent : ils ont l’impression d’avoir aidé un criminel à éviter la prison grâce à leur argent. En mars 2021, Iteb Zaibet avait été condamné à cinq ans de prison par le Tribunal de première instance de Tunis pour blanchiment d’argent, avant d’être innocenté par la Cour d’appel de Tunis le 13 janvier 2022. Ici, la présumée escroquerie est d’une tout autre envergure.

Tout démarre dans la ville suisse de Lugano, durant les fêtes de Noël 2018. Selon un document du département américain de la Justice que Jeune Afrique a consulté, un employé de la troisième banque suisse, Raiffeisen, Stefano B., a effectué, entre le 20 et le 24 décembre, quatre virements d’un montant total de 8,73 millions de dollars sur le compte de la Luxury Properties Inc., société immobilière créée moins d’un mois auparavant dans le paradis fiscal de l’État américain du Delaware.

Les dirigeants sont Iteb Zaibet et Lolita Rebulard. Stefano B. verse également, les 24 et 27 décembre 2018, 3,5 millions d’euros et 2 millions de francs suisses (1,76 million d’euros) sur le compte personnel d’Iteb Zaibet en Tunisie, d’après des documents Swift obtenus par Jeune Afrique. Finalement, Stefano B sera condamné en 2020 par la justice suisse à cinq ans et demi de prison.

Durant son procès, il mentionne un complice trouvé sur le Dark Web, sans que ce dernier soit clairement identifié. A priori, Iteb Zaibet, seul bénéficiaire de ces virements pour un total de plus de 13 millions d’euros, ferait un coupable idéal. « Ferait » car, le 13 janvier 2022, la Cour d’appel de Tunis retient la bonne foi de l’auteur de l’album de rap MST. En détention préventive depuis juillet 2019, Swagg Man avait été libéré en juin 2021 après que le couple d’industriels eut accepté de payer les 200 000 dinars (62 000 euros) de caution.

Lolita, le cerveau du couple

« Le soir même, on fêtait tous ensemble la décision de justice au Golf de Gammarth [restaurant chic au nord de Tunis] ! C’était l’explosion de joie. On croyait encore qu’il était la victime d’une machination. D’ailleurs la Cour d’appel confirmait cette version. Mais dès les jours suivants, Rayan s’est montré froid, distant, refusant de nous voir », se remémore Laurent.

Durant la détention d’Iteb Zaibet, le couple à hébergé une Lolita Rebulard « perdue », à plusieurs reprises et pour de longues périodes. Ils lui versent beaucoup d’argent. « A posteriori, j’aurais tendance à dire que c’est Lolita le cerveau du couple. Elle jouait parfaitement la jeune fille en détresse alors qu’on a découvert qu’elle avait créé de faux profils sur les réseaux sociaux pour harceler ma femme pendant plusieurs mois », relate Laurent.

Quelques jours après la décision de la Cour d’appel de janvier 2022, Iteb Zaibet quitte la Tunisie – sa liberté sous caution l’en empêchait jusque-là – sans donner de nouvelles, pas même à sa famille. « Vous m’apprenez sa condamnation par le tribunal de Sousse. Je vais devoir l’annoncer à sa mère… On n’avait plus de nouvelles depuis son acquittement en janvier. C’est Iteb. C’est le seul de la famille qu’on n’a jamais réussi à comprendre », se désole auprès de Jeune Afrique son père, le poète Hamadi Zaibet. Mais Swagg Man ne reste pas longtemps silencieux, car ses démêlés avec la justice sont loin d’être finis, au point qu’une société de production se penche déjà sur l’écriture d’une série documentaire pour Netflix.

Une centaine d’années de prison

Le 18 février 2022, il pose sur les réseaux sociaux, tout sourire, devant le tribunal de Nanterre au côté de son avocate française, Me Elise Arfi. En plus de sa condamnation pour abus de confiance sur Laurent et Emna et l’affaire de blanchiment, Iteb Zaibet est accusé d’avoir extorqué plus de 1,5 million d’euros à une vingtaine de fans. Selon plusieurs témoignages, il ciblait des profils, mineurs et orphelins essentiellement.

Il se présentait lui aussi comme sans famille avant de les convaincre, quitte à les harceler, d’investir dans la cryptomonnaie pour devenir riches très rapidement. Le rendez-vous du 18 février vise à lever le mandat d’arrêt contre Iteb Zaibet « dans la mesure où Swagg Man souhaitait se rendre volontairement en France pour s’expliquer auprès du juge d’instruction. Il n’y avait donc plus de raison de lui imposer une telle mesure, laquelle n’avait été décidée qu’en raison de l’impossibilité de le localiser précédemment : et pour cause, il était détenu en Tunisie », détaille dans un courriel à Jeune Afrique Me Elise Arfi.

Mais l’instruction se poursuit. Le juge Serge Tournaire décide de placer Iteb Zaibet sous le statut de témoin assisté. Les victimes recensées par l’enquête ont même reçu un courrier leur proposant de se porter partie civile. Laurent et Emna comptent sur la justice française « pour faire réellement bouger les choses, pour qu’on l’arrête et le mette en prison pour protéger ses fans les plus fragiles ».

En Tunisie, le procès sur ces escroqueries doit se dérouler le 29 juin – Swagg Man risque une centaine d’années de prison, les peines étant cumulatives –, mais les audiences ont plusieurs fois été reportées et les parties civiles, majoritairement européennes, ne prévoient pas de faire le déplacement.

Depuis le 14 avril, le procureur de la République tunisienne a été saisi pour « falsification de documents dans une affaire de blanchiment ». L’enquête pourrait remettre en question la décision de la Cour d’appel de janvier 2022. Cette dernière repose essentiellement sur des factures et un échange de courriels entre Iteb Zaibet et un certain David S. Ces documents justifient les virements sur le compte personnel de Swagg Man et de sa société immobilière américaine par la vente de biens immobiliers et de machines agricoles.

Des faux ?

Jeune Afrique a pu consulter ces pièces du dossier. Les factures commencent en anglais pour se poursuivre en français. Le nom de Luxury Properties Inc. a été modifié en Luxurious Properties Inc. sans raison. La date est passée du 19 décembre 2018 au 19 décembre 2019 sur la même facture. Autant d’indices qui laissent penser que les documents ont été rédigés à la va-vite.

Le fabricant des machines agricoles en question, qui auraient été acquises puis revendues par Luxury Properties Inc., affirme n’avoir jamais honoré une telle commande. Il insiste sur le fait que les clients habituels de ce type d’engins sont des ministères de l’Agriculture ou des entreprises industrielles, et non des sociétés immobilières de luxe.

Le procureur a également entre ses mains le rapport de Hubert Bitan, expert en informatique près la Cour d’appel de Paris, sur l’échange de courriels qui conclut que « ces documents ne nous apparaissent pas répondre aux exigences d’authenticité et d’intégrité ».

L’expert, engagé par un proche des ex-fans de Swagg Man qui ont porté plainte, relève deux anomalies principales : l’orthographe du mois de « decembre », auquel il manque l’accent aigu sur le premier « e » alors que « la conversation doit se dérouler depuis l’interface en français du service de messagerie GMAIL », et l’absence de l’adresse URL d’accès à la conversation en bas de page, qui normalement apparaît toujours à l’impression, quel que soit le navigateur utilisé.

Devant l’accélération du calendrier judiciaire, l’avocat attitré de Swagg Man en Tunisie, Me Taieb Bessadok contre-attaque. Il était la semaine dernière à la télévision tunisienne. Sans piper mot de la condamnation prononcée par le tribunal de Sousse, il s’est dit confiant de pouvoir récupérer l’argent de son client bloqué à la Banque centrale de Tunisie.

Une prestation aussitôt saluée par Swagg Man sur Facebook, son premier message après deux mois et demi de silence. En revanche, Me Bessadok n’a pas voulu répondre aux sollicitations de Jeune Afrique. C’est dans un style lapidaire que, par SMS, il s’est refusé à tout commentaire.

*Les prénoms ont été modifiés

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